Justice For All

L’alerte avait ébranlé tout le Ministère. De là où ils étaient, les écrans sorciers crachaient la dure réalité : une attaque était en cours dans le quartier de Finsbury et on allait avoir besoin de toutes les forces policières possibles.

Le Directeur de la Justice Magique, un homme en fin de parcours à la carrière brillante, qui avait tenu d’une main simple mais ferme les rennes ces vingt dernières années et avait vu tout un tas de saloperie passait derrière son bureau, s’était vu réveillé en pleine nuit par un pauvre bleu envoyé par le bureau des aurors.

« On a un gros problème, Monsieur »

Gros, c’était peu dire.

Gros, c’était plus qu’il ne pouvait gérer, surtout à son âge, surtout au vu des résultats du médicomage. Nécromagie, une maladie au nom drôle quand on y pensait, résultante d’années d’angoisse et d’anxiété. Nécromagie, comme des années d’abus mais aussi de peur au fond du lit. Si on lui avait dit que c’était quelques mois seulement après le verdict qu’on allait lui asséner ce coup-là, il aurait quitté son poste le mois dernier, pas par faiblesse ou par lâcheté, mais parce que c'était trop. Malheureusement pour lui, personne ne pouvait véritablement le remplacer. Pas maintenant, en tout cas.

Assis dans son fauteuil, des photos multiples, des témoignages à n’en plus finir, des rapports signés par la patte d’experts, le vieux Gavin Roberts ne savait plus quoi en faire de toute cette histoire. S’il partait maintenant, il tirait un trait sur sa réputation, sur ces vingt foutues années de carrière. S’il partait maintenant, il n’était plus que la moitié d’un gryffondor et ça, pas question. Il en avait pas chié pendant la guerre, il avait pas couvert des salopards jusqu’en 2006, jusqu’à pouvoir se galvaniser d’avoir attrapé le dernier des mangemorts, pour venir se coltiner cette mauvaise presse.

Il avait trop fait, Gavin Roberts, il avait trop donné pour en arriver au déshonneur.

« Allez me chercher Standford et… »
Son œil s’était perdu sur le dossier ouvert de @Braxton Clearwater, que la secrétaire avait mis ici parce qu’il pouvait être utile, ainsi que celui de @Fergus Clearwater.
« …et Jameson Clearwater. Dites-leur que j’aimerai un entretien. Qu'entre nous. Pas besoin de ramener tout le clan. Qu'ils prennent soin des leurs. »

Gavin Roberts se pinça l’arrête du nez entre ses doigts, les épaules soudainement lourdes et fourbues.

La secrétaire eut un petit mouvement de la tête, avant de sortir du bureau en silence.

Devant lui, le Directeur des Accidents et Catastrophes Magiques croisa les bras sur son torse, l’air plus coriace, l’air plus prompt à mordre. Roberts eut un petit instant de doute.

« Qu’en dis le Ministre ? »
« Haywood ? » siffla presque Roberts en faisant grincer son siège, « que c’est une petite bite. Il veut étouffer l’affaire… trouver un responsable. Broder. A quelques jours des élections, c’est du pain béni pour Dunn… »

Gavin grommela un petit juron tout droit sorti de son pays natal, le Pays de Galles.

« Et toi ? Tu comptes faire quoi ? »

Gavin croisa lentement les bras sur son torse. Un instant, il sembla réfléchir.

« Avec vingt ans de moins… je serais allé les chercher jusque dans leurs chiottes. »
« Et maintenant ? Avec vingt ans de plus ? » ricana en face de lui Jasper Blake.
« Je vais convoquer Jameson et Gabriel, mettre peut-être en vacances forcées ce bon Braxton qui nous aura été utile le temps qu’il nous aura été utile, sauf si le Ministère des Mystères veut encore en tirer quelque chose… »

Le travail de Ministre était bien cruel, avec un peu de recul. Gavin s’en rendait doucement compte, lui qui s’était toujours dit au fil de sa carrière qu’il ne serait pas un énième pleutre, qu’il ne serait pas de ses lâches qui se cache derrière la facilité. Il en avait l’âme. Il avait été un fier Gryffondor. Quand est-ce que la fatigue l’avait à ce point épuisé ? Depuis quand avait-il baissé les bras ?

« Je te laisse te charger du dossier de Betty Clearwater », Gavin le sortit des dossiers empilés sur son bureau, « ça revient au bureau d’Aeron. »

Un petit hochement de tête, Jasper Blake apporta à ses lèvres la liqueur bien forte qui les avait maintenus éveillé depuis plus d’une heure, à lire les rapports, à piocher ici et là des bouts d’informations. Les enquêtes filaient bon train mais se heurtaient toutes à l’impossibilité de retrouver les gamins.

Jasper fit claquer son verre en le reposant sur le bureau.
Il se redressa et tapota l’épaule de son homologue.

« Courage Gavin. Encore que quelques mois… »

Un petit sourire plein de compassion sur le visage, le Blake se détourna et sortit du bureau. Gavin eut un petit instant de réflexion. Quelques mois. Il disait pas si bien le Blake. Un sourire amer se dessina sur le visage froissé de Gavin Roberts qui replongea en grande lecture, en attendant les deux convoqués.

Il avait encore une petite heure devant lui pour bien comprendre le pourquoi du comment de cette petite épicerie moldue et de ces deux sorciers kabyles…

Gavin se leva de son siège en voyant le patriarche de la famille Clearwater s’approcher.
Une poignée de main plus tard, il l’invitait de la même main à s’asseoir :
« Je comprends bien, je ne vous aurais pas déranger si ça ne l’était pas. Ça ne sera pas long de toute façon. »

Le directeur de la Justice avait l’habitude des situations de crise. Il en avait géré des centaines au cours de sa carrière, des bavures de guerre jusqu’aux morts de certains de ses lieutenants sur le terrain, rien ne lui avait été épargné. S’il avait su que sa carrière s’achèverait sur une de cette ampleur… Que Merlin l’en garde, il n’aurait rien pu faire pour l’en empêcher de toute façon.

Gabriel Standford entra à son tour dans le bureau. Roberts lui fit un petit signe de la tête avant de s’asseoir à son bureau, bien rangé, bien propre. Les dossiers avaient été classé, distribué, annoté.

« Qu’il prenne soin de sa femme, la nuit a été longue. Son responsable ira le trouver quand Braxton sera en état de le recevoir », parce que bien évidemment, ce n’était pas la tête pleine des horreurs de la nuit que le langue-de-plomb serait le plus efficace.

Gavin hocha de nouveau la tête, l’air ennuyé. Le fait que les gamins n’aient pas été localisé ne signifiait rien de bon, mais ça, tout le monde le savait. Tout le monde ici avait connu la guerre ou le terrain. Il n’allait pas leur faire la leçon – il n’en avait ni l’envie, ni le temps.

Roberts se racla la gorge :

« Les équipes de recherches s’affairent, que ce soit les aurors mais aussi les agents de la BPM ont été mis sur l’affaire. J’ai une ligne directe avec tous les acteurs sur le terrain », il jeta un œil à Gabriel, mais il y avait aussi Marleen MacGregor et ses homologues des autres zones, « mais pour le moment, rien. Absolument rien. »

Le directeur soupira par le nez, ce qui lui donnait l’air d’un vieux taureau fatigué mais furieux. Un aspect qui n’était pas sans rappeler son patronus bien connu.

« Thanatos est… un vrai putain de problème. Et nous n’avons, à l’heure actuelle, absolument rien à vous apporter comme réponse et j’en suis franchement navré. »

Gavin Roberts inspira cette fois, se sentant à la fois démuni et en même temps serein. Serein parce que ce n’était pas la première fois. Parce qu’il n’y pouvait rien. Parce qu’il ferait le maximum, le nécessaire, mais qu’il n’était pas Merlin pour faire de quelconques miracles.

« Et c’est même effrayant. Pour vous, mais aussi pour toute la population. Une attaque comme celle de Little Algeria, c’est un retour vingt ans en arrière pour notre génération » souffla Gavin, en regardant Jameson, « c’est un désastre, mais un désastre que le Ministère se doit de maintenir pour le moment dans ce seul bureau. »

Il se pencha en avant, posant les coudes sur le bureau.

« Les équipes de Standford vont prendre le dossier en main, mais nous pensons qu’il est dangereux d’en parler à la radio ou dans les journaux. Un coup pareil, le fait que Thanatos est réussi à nous baiser, c’est du pain béni pour plein de personnes… mais y compris pour eux-mêmes. »

Le directeur passa une main sur son menton, l’air sombre.

« On n’sait pas jusqu’où ils ont le bras, jusqu’où leurs racines vont. Ça fait quoi ? Dix ? Treize ans maintenant qu’on est sur leurs talons ? On a jamais réussi à avoir plus qu’un nom ou deux, et encore… Si on lâche dans la presse ce qui s’est passé à Little Algeria, qu’il s’agissait plus qu’une… fuite de gaz, on va droit dans le mur. Socialement, mais pour les gamins aussi. Les informations qui paraîtront dans le journal, ça sera autant d’informations qui vont leur servir à s’adapter et à réagir. On sait ce que ça fait des journalistes dans une affaire », le regard de Gavin se posa sur Jameson puis sur Gabriel, « et on ne veut pas qu’ils sachent où et quand on avance nos pions. Pour ça, on va devoir rentrer en mode sous-marin. »

Gavin reposa son dos dans le fond de son fauteuil, soupirant :

« Et pour ça, Jameson, j’ai besoin de mettre sur la touche Braxton et Fergus. Ils ont pris des risques pour le Ministère et ils en payent les conséquences. Mais le Ministère n’a pas envie de voir d’autres héros chez les Clearwater », n’avait-il pas enterré Carron en 2016 ? « Alors ils vont prendre quelques semaines de vacances, rentrer au Domaine, et Standford se chargera de l’affaire… »

Il tapota sur son bureau d’un air solennel :

« On vous les ramènera. »